Pourquoi d’autres régions auraient une route du vin qui attire les touristes, remplit les hôtels et les restaurants, et nous rien pour valoriser notre patrimoine brassicole ? Des brasseries ne cessent pourtant de se créer dans la région, et les brasseurs sont partants. Nous avons pris la route pour répondre à cette question. Et nous avons découvert qu’un projet était sur les rails… pour 2015.
Lille : comment se faire mousser
Notre route commence à Lille avec Nicolas Lescieux. En novembre 2013, il a lancé avec Olivier Faure L’Échappée bière. « C’est justement cette idée qu’il n’existe pas de route de la bière ici qui nous a poussés à créer notre entreprise. » Nicolas Lescieux et Olivier Faure proposent des circuits à la journée. Ça coûte 70 euros. Ils espèrent mettre en place des séjours de deux à trois jours l’année prochaine. Et si des routes de la bière se mettent en place, ils se portent volontaires pour les animer !
Armentières : la peur de l’absorption
« Pourquoi des routes du vin et non de la bière ? » Léon Barrat, 83 ans, est historien de la bière. « Parce que les vignerons coopèrent davantage entre eux que les brasseurs. Les brasseurs sont trop fiers de leur réussite, ne veulent pas trop dépendre du voisin et ont peur de devoir se laisser absorber par de plus grands. »
Arras : Terre de brasseurs
« Dans le Nord, on restait très local. » Vincent Caruso, le président des Amis de la bière, poursuit l’analyse. « On ne s’expatriait pas. Les Alsaciens, eux, ont très vite utilisé les chemins de fer pour exporter. Et ils savent se vendre. Nous, on est très frileux. La première brasserie à l’avoir fait, c’est Castelain. » Vincent Caruso a deux projets pour renforcer une route de la bière : la création d’un musée et l’organisation d’une grande manifestation. Le premier est encore incertain, la seconde s’appelle Terre de brasseurs. Elle aura lieu à Arras, les 17 et 18 octobre. « Rien à voir avec la fête de la bière ! On veut donner des lettres de noblesse à la bière, comme au vin. »
Douai : apprendre la bière à l’école
« Oui, il faut créer une route de la bière !, s’enthousiasme Bruno Gadoud, le proviseur du lycée agricole de Douai-Wagnonville. C’est le bon moment. Des microbrasseries naissent partout dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est un retour à la tradition. C’est la belle endormie qui se réveille. » Dans son lycée, une microbrasserie permet aux élèves de produire 400 hectolitres d’Escreboise chaque année. Les adultes peuvent aussi venir se former durant une semaine.
Ennevelin : on brasse petit
Avec sa bière, Dominique Dillies veut mettre en avant la Pévèle, ses cassis, sa chicorée. L’ancien photographe a créé la Brasserie du pavé dans son corps de ferme l’an passé. Il n’arrive pas encore à vivre de sa production (200 à 250 hectolitres par an) mais distribue déjà ses bouteilles dans une trentaine d’enseignes. « La moitié de mon temps pour la production, l’autre pour les relations commerciales. »
La route de la bière, il est cent fois pour… Le seul souci, c’est que comme il est tout seul dans sa brasserie, il ne pourra pas ouvrir ses portes davantage que le vendredi après-midi (et un week-end par mois), comme il le fait actuellement. « Ce n’est humainement pas possible. »
Bénifontaine : on brasse grand
« C’est même dommage qu’un fléchage des brasseries ne soit pas déjà fait. » Annick Castelain brasse la Chti et préside l’antenne régionale du Club des buveuses de bière en talons aiguilles. Dans la région, elles sont 930. « On apporte du contenu sur un mode très convivial. » La route de la bière, elle est pour, elle est même déjà tout à fait prête à recevoir les touristes. « On en accueille environ 3000 par mois. Des gens en vacances, des Belges, des Anglais, des gens de la région. »
Bailleul : 100% flamand
Les Beck cultivent le houblon depuis trois générations. Ils vendent 99,5 % de la récolte de leurs 3,5hectares, et gardent le reste pour leur brasserie. Les Beck se servent aussi de l’eau de leur forage, cultivent un peu de malt. Ils reçoivent 150 à 200 visites le week-end. « On travaille énormément en direct, avec les offices de tourisme, avec Internet », explique Thierry. Il passe deux heures par jour à lire ses mails. « Mais ça, ce n’est pas notre métier, si vous voulez. Nous, on ne veut pas passer par des centrales de réservation. Ça ne nous correspond pas. On veut garder le contact avec les gens. »
Aix-Noulette : 100 % tendance
« Quelque chose est en train de se passer, analyse Vincent Bogaert, un des brasseurs de Page24. Le food beering, qui consiste à associer une bière à un plat, est en train de se développer. L’image de la bière se modifie. Le public féminin commence à venir. Ça évolue, mais bon, il y a encore du boulot. »
Lille : la promotion de la chope
« Le syndicat des brasseurs a déposé un dossier au conseil régional pour créer une telle route, nous confie Élisabeth Laurent, directrice adjointe du comité régional de tourisme. Ils prévoient de créer un site Internet, ces routes et un gros événement : Terre de brasseurs. Nous, notre priorité, ce sont les chemins de mémoire, mais nous serons là pour assurer la promotion et le marketing de ces routes. »
En route pour un beau voyage
« Cette route est certainement un outil touristique qui manque au territoire », reconnaît Gérard Sonnet, le secrétaire du syndicat des brasseurs du Nord. Il confirme qu’il est bien en train d’en préparer non pas une, mais quatre. Une dans les Flandres, une autre dans l’Artois, puis le littoral et le grand Sud. « On mêle les dimensions culturelles, historiques et patrimoniales de la bière. » On pourra y découvrir des brasseries, mais aussi les champs de houblon dans les Flandres, les champs de céréales dans le Cambrésis… La première de ces routes – appelées Voyages en terre de brasseurs « pour laisser place à l’imagination » – devrait être ouverte d’ici à 2015.
21/06/2014 - Carine di Matteo ( La Voix du Nord)