Jeudi 24 mai 2007
Amphithéâtre Schumpeter, Dunkerque
Jan van Eyck, peintre et enlumineur, ambassadeur de Philippe le Bon
Une conférence de Françoise Caillet-Mangin
Françoise Caillet-Mangin est Historienne de l’Art et guide-conférencière au Palais des Beaux-Arts de Lille.
Elle nous présente les dessins et peintures de Jan Van Eyck (c. 1390 - 1441), mais aussi ses enluminures, un aspect moins connu de l’œuvre de l’artiste.
A l’aide d’une présentation de diapositives numérisée par Monique Vyers, elle a dressé le parcours prestigieux de cet homme au service du duc de Bourgogne Philippe le Bon en choisissant ses œuvres les plus novatrices.
photo Van Eyck à Bruges
Hebdrik Pickery, "Jean" Van Eyck, sculpture en cuivre rouge, 3,90 m, inaugurée par le roi Léopold II en 1878, Square Jan Van Eyck, Bruges, photo Sabine Wetterwald, sortie associative de décembre 2006
Les premières mentions de Jan van Eyck sont celles de son paiement au service du duc Jean de Bavière en 1422-1424. Van Eyck aurait donc été d’abord peintre d’enluminures avant d’être peintre sur panneau.
Les enluminures de quelques feuillets des Heures de Milan-Turin sont actuellement ses œuvres les plus anciennement connues. A travers le souvenir du style international gothique, elles montrent une nette avancée dans le réalisme de la représentation.
photo : Heures de Milan-Turin, folio 116r
Jan van Eyck, enluminure des Heures de Turin- Milan, folio 116r°, ms. 47, La Messe des morts, 27x18,5cm, vers 1420-1425, Museo Civico, Turin
photo ’Heures de Turin-Milan’, folio 116r, détail de la lettrine
Jan van Eyck, Le Jugement dernier, Heures de Turin-Milan,
détail de la lettrine R du folio 116r
L’initiale R abrite Dieu le Père en gloire au Jugement dernier. Debout sur le globe terrestre il se tient sur l’arc-en-ciel au pied duquel sont séparées les âmes du Paradis et celles de l’Enfer. La lettrine sert de liaison entre la messe des morts du tableau principal et la scène marginale inférieure.
Après la messe des morts, on procède aux funérailles : Jan van Eyck installe ses protagonistes dans un paysage où les croix du cimetière figurent à l’arrière-plan. Il détache les silhouettes sur le parchemin et réussit à donner une impression de mouvement dans la procession funéraire. On pense aux pleurants du cortège funéraire du tombeau de Philippe le Hardi en 1404 lors de son rapatriement de Halle à Dijon, ou aux personnages travaillant à l’édification de la tour de sainte Barbe dans le dessin d’Anvers de 1437 (représenté au bas de ce texte).
photo ’Heures de Turin-Milan’, folio 116r, ’Procession funéraire’
Jan van Eyck, Procession funéraire, Heures de Turin-Milan, bas de page du folio 116r
L’œuvre majeure de Van Eyck reste le Polyptyque de l’Agneau Mystique de la cathédrale Saint-Bavon de Gand datée de 1432.
Elle pose le problème délicat du degré d’intervention de Jan et de son frère aîné Hubert.
L’œuvre est aussi remarquable par sa technique de peinture à l’huile, non pas découverte comme on l’a trop souvent dit, par Jan van Eyck, mais utilisée habilement en fines couches picturales transparentes, ce qui contribua à la renommée internationale du maître de Bruges.
Consultez le sujet ouvert sur notre forum à propos de l’origine des polyptyques et de leur étymologie.
photo Le ’Polyptyque de l’Agneau mystique’, 1432, Cathédrale Saint-Bavon, Gand
Hubert (?) et Jan van Eyck, Polyptyque de l’Agneau mystique, inauguré le 6 mai 1432, huile sur bois, 375 x 520 cm (ouvert), Gand, Cathédrale Saint-Bavon
À partir de 1425, le peintre est mentionné comme valet de chambre du duc de Bourgogne, Philippe le Bon. Van Eyck participera même à l’expédition de Lisbonne en 1428 qui devait conclure au mariage entre Philippe le Bon et Isabelle du Portugal.
Après avoir vécu à Lille pendant de nombreux mois, il s’installe à Bruges où il acquiert une maison en 1431.
Un bon outil de zoom sur le tableau dit des Époux Arnolfini sur le site de la Fondation Berger, et une conférence sur van Eyck à écouter. Elle date de 1991 et la qualité du son n’y est pas, mais on comprend bien cependant les propos du conférencier qui rapporte une des nombreuses interprétations autour des Époux Arnolfini.
photo Jan van Eyck, ’Portrait d’un couple’
Jan van Eyck, Portrait d’un couple dit Les Époux Arnolfini, 82,2 x 60 cm, huile sur chêne, vers 1434, Londres, National Gallery
Françoise nous parle des interprétations classiques du tableau dit Les Époux Arnolfini, mais j’ai un coup de cœur pour une autre interprétation lue dans un article novateur de Catherine Jordy, " Le respect de l’interprétation - Une mise en abyme du miroir " sur la revue Le Portique.
Avec l’exemple des Époux Arnolfini, Catherine Jordy a confronté des hypothèses radicalement opposées qui donnent un nouveau sens à l’œuvre et développe celle de Pierre-Michel Bertrand qui va jusqu’à imposer un nouveau titre au tableau, puisque cet historien d’art avance des arguments très solides montrant que les deux personnages représentés sont van Eyck et sa femme plutôt que les époux Arnolfini. "Interprétation qui n’efface pas les études passées, mais les éclaire autrement et contribue à les mettre en abyme." Son propos nuancé est agréable car les internautes qui commentent le tableau sur le Net sont parfois péremptoires en affirmant que l’interprétation qu’ils ont choisie est la bonne sans mettre en parallèle les autres toutes aussi vraisemblables.
Depuis la conférence de Françoise j’ai lu le livre de Pierre-Michel Bertrand dans sa nouvelle édition de 2006 complétée (voir Bibliographie). Il est captivant, mené comme une enquête policière et écrit avec le sérieux qu’on attend d’un chercheur.
À lire donc pour décider de votre opinion personnelle.
Nous avons pu admirer ce petit panneau représentant Sainte Barbe dans un paysage lors de notre voyage à Anvers de mars 2005, et à l’occasion de la visite au KMSKA le 4 mai 2007 pour l’exposition Les Primitifs flamands, les plus beaux diptyques. La finesse et la précision du dessin nous avaient captivés.
La tour de sainte Barbe est habituellement présentée dans la main de la sainte en guise d’attribut, comme celle qui est figurée sur un Calvaire à droite d’un panneau des années 1400 conservé au Musée de la Cathédrale Saint-Sauveur de Bruges. Par un effet perspectif très réussi, elle fait ici office de dais ou de baldaquin à l’arrière-plan pour magnifier la grandeur de sainte Barbe assise en avant-plan sur un monticule d’où elle domine le monde.
Les tailleurs de pierre sous l’auvent et les seigneurs sur le chantier de la tour de sainte Barbe
L’architecture de l’édifice en construction évoque la tour de la cathédrale de Cologne alors en chantier au milieu du XVe siècle. Les ouvriers au travail fourmillent mais l’architecte et les gens du monde ont aussi leur place.
photo ’Sainte Barbe dans un paysage’
Jan van Eyck, Sainte Barbe dans un paysage, 31 x 18 cm, pinceau et couleur gris-brun, pointe d’argent, gouache blanche et peinture à l’huile sur panneau préparé, 1437, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers
On pense aux enluminures sur le thème de la Tour de Babel comme celle du folio 17v des Heures du duc de Bedford enluminées vers 1425 qui pourraient avoir influencé van Eyck.
L’encadrement daté avec la signature de van Eyck, l’aboutissement et l’élaboration du dessin, donnent à penser qu’il ne s’agit peut-être pas d’une étude préparatoire à une peinture comme les historiens d’art l’ont longtemps pensé, mais plutôt d’un dessin achevé, fait pour lui-même, bien qu’on ne considérât pas l’esquisse dessinée comme une véritable expression artistique avant le XVIe siècle.
Merci à Françoise pour sa belle communication offrant une synthèse sur l’œuvre de van Eyck. L’auditoire a pu apprécier la profondeur d’œuvres d’art ayant marqué des générations de peintres.
Bibliographie :
BERTRAND Pierre-Michel, Le Portrait de Van Eyck. L’énigme du portrait de Londres, Hermann, Paris, 2006 (nouvelle édition revue, augmentée et corrigée de l’édition parue en 1997)
BORCHERT Till-Holger, Le siècle de Van Eyck - Le monde méditerranéen et les Primitifs flamands, Catalogue de l’exposition "Jan van Eyck, les Primitifs flamands et le Sud, 1430-1530", Groeningemuseum, Bruges, du 15 mars au 30 juin 2002, Gand-Amsterdam, Ludion, 2002
CHÂTELET Albert, Van Eyck et la diffusion de l’art flamand, Dijon, Faton, Dossier de l’Art n° 119, Mai 2005
FRÈRE Jean-Claude, Les Primitifs flamands, Paris, Terrail, 2001, chap. ’Hubert et Jan van Eyck’ pp. 24-47
GOMBRICH Ernst H., Histoire de l’Art, Paris, Phaïdon, 1950, 2005, chap. 12, "La conquête de la réalité, Les débuts du XVe siècle" pp. 223-245
-KORENY Fritz (dir.), POKORNY Erwin, ZEMAN Georg, Dessins de Jan van Eyck à Hieronymus Bosch, Catalogue de l’exposition du 14 juin au 18 août 2002, Rubenshuis, Anvers, 2002
LASSAIGNE Jacques, La Peinture flamande, Le siècle de van Eyck, Genève, Skira, 1957, pp. 33-69
PANOFSKY Erwin, Les Primitifs flamands, Paris, Hazan, 1992, 2003, chap. 7 et 8, pp. 325-435
SCHMIDT Peter, Le Polyptyque de l’Agneau mystique à Gand, Gand, Ludion guides, 2001, Bibl. Asso.
Rédaction, bibliographie et mise en ligne par Sabine Wetterwald le 12 mai 2007,
dernière actualisation le 14 janvier 2009